A court de mots
Mercredi matin, la vision que j'ai de ma vie ressemble étrangement à celle que m'offre la fenêtre de mon bureau.
Avenir bouché mais on distingue très bien de belles difficultés promises pour tout bientôt.
Sinon,
les mots ne me viennent pas. Ce qui est rare chez moi. Mais vendredi
soir, alors que je traverse le parc des Bastions juste après la tombée
de la nuit, je sens revenir des flots de lettres prêtes à jaillir dès
que je leur en laisserai l'occasion.
Incursion au Victoria Hall,
on m'a offert un billet pour un concert, me voilà introduit dans un
milieu que je n'avais pas fréquenté depuis des années. On se croirait
dans un sanatorium, âge moyen 65 ans. La règle de ce monde semble être
"ne jamais adresser un regard bienveillant à personne sous peine de
passer pour un extra-terrestre". Je meurs de faim et pars à la
recherche d'un sandwich, quête durant laquelle je me fais presque
provoquer en duel par deux mémés accoudées au bar qui ne semblaient
attendre que le moment où quelqu'un oserait les frôler pour manifester
leur douleur de vivre, je leur réponds par un grand sourire charmeur
quasi sensuel, offense, elles battent en retraite. Je rejoins ma place,
coincé entre deux dames respectables et bavardes, j'ai du succès ce
soir.
Plongé dans mes pensées sarcastiques à propos du beau
monde genevois, je ne remarque pas que l'orchestre a fait son entrée,
qu'il s'est accordé et qu'il fait silence avant d'entamer les premières
notes. Si bien que je ressens comme un petit choc les premières
caresses des violons. Après trente secondes, mes yeux lâchent des
larmes, je fonds, me laisse tomber dans un puits de tristesse, tout ce
que j'ai refoulé depuis des jours ressort. Je me rends compte que j'ai
retenu beaucoup, pas le choix, ma vie me force à aller prepétuellement
de l'avant. Mais là je me retrouve cloué à ce fauteuil, forcé de faire
face à mes émotions qui débordent sans prévenir. Je me ressaisis juste
avant que ne sortent les sanglots. Durant toute la première partie du
concert, j'oscille entre me laisser envahir par la beauté de la
musique, et la maîtrise de mes sentiments. Je suis à la fois déçu et
soulagé par l'arrivée de l'entracte.
Après une suite de concert magnifique mais beaucoup moins intense, je rentre exténué, mais toujours incapable d'écrire.