Du poulet
Lisez seulement si vous avez du temps à perdre
J'aime ce restaurant où l'on mange dix centimètres au-dessous du niveau de la route. Derrière les vitres immenses à fleur de bitume, beaucoup de trafic. Des centaines de visages qui défilent, pris dans le ballet des trams et des voitures. Les véhicules arrêtés au rouge sont à dix mètres, on distingue parfaitement les personnes qui oublient souvent qu'elles sont aussi visibles depuis l'extérieur de leur habitacle. Les bouches qui chantent, les mouvements d'humeur des hommes pressés, les remaquillages d'urgence, les coups de téléphone amoureux, neutres ou conflictuels, aussi bien que les grattages de nez intempestifs. Toutes ces tranches de vie qui s'arrêtent net devant soi, juste le temps d'y jeter un coup d'oeil avant que la caravane ne reparte. Sur le trottoir, des démarches royales ou pataudes, des yeux de garçon qui suivent avec attention la danse sensuelle d'une croupe féminine, et parfois aussi des regards jetés au contenu de mon assiette. Des grappes d'étudiantes rejoignent le grand temple du savoir, sur le versant opposé du carrefour. J'ai autrefois transpiré dans les bibliothèques et les salles de cette université, je suis heureux de ne plus avoir de compte à lui rendre. Je me rappelle aussi qu'il y a une vingtaine d'années, il y avait à la place de ce prestigieux bâtiment l'ancien palais des expositions reconverti en salles de sport. Après les match, je venais manger cette salade de chou au goût particulier, la même que celle que j'ai aujourd'hui dans mon assiette, dans ce même établissement qui portait alors un autre nom.