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Frisson
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20 janvier 2008

La fuite

"Plus tard, j'ai ressenti la même ivresse chaque fois que j'ai coupé les ponts avec quelqu'un. Je n'étais vraiment moi-même qu'à l'instant où je m'enfuyais. Mes seuls bons souvenirs sont des souvenirs de fuite ou de fugue. Mais la vie reprenait toujours le dessus. Quand j'ai atteint l'allée des Brouillards, j'étais sûre que quelqu'un m'avait donné rendez-vous par ici et que ce serait pour moi un nouveau départ. Il y a une rue, un peu plus haut, où j'aimerais bien revenir un jour ou l'autre. Je la suivais ce matin-là. C'était là que devait avoir lieu le rendez-vous. Mais je ne connaissais pas le numéro de l'immeuble. Aucune importance. J'attendais un signe qui me l'indiquerait. Là-bas, la rue débouchait en plein ciel, comme si elle menait au bord d'une falaise. J'avançais avec ce sentiment de légèreté qui vous prend parfois dans les rêves. Vous ne craignez rien, tous les dangers sont dérisoires. Si cela tourne vraiment mal, il suffit de vous réveiller. Vous êtes invincible. Je marchais, impatiente d'arriver au bout, là où il n'y avait plus que le bleu du ciel et le vide. Quel mot traduirait mon état d'esprit ? Je ne dispose que de très peu de vocabulaire. Ivresse ? Extase ? Ravissement ? En tout cas, cette rue m'était familière. Il me semblait l'avoir déjà suivie auparavant. J'atteindrais bientôt le bord de la falaise et je me jetterais dans le vide. Quel bonheur de flotter dans l'air et de connaître enfin cette sensation d'apesanteur que je recherchais depuis toujours. Je me souviens avec une si grande netteté de ce matin-là, de cette rue et du ciel tout au bout..."

Patrick Modiano, Dans le café de la jeunesse perdue

Quand j'ai fini ce chapitre, ma respiration était devenue haletante et mon sang tapait dans ma tête.

J'ai vécu un moment comme celui-ci, il y a presque huit ans. J'avais fui. J'avais rempli mon sac avec des habits, je l'avais posé devant moi, sur le réservoir de ma moto, et j'avais roulé en choisissant toujours les chemins qui me rapprocheraient le plus rapidement du ciel. J'avais fini au sommet du signal de Bernex, le point le plus haut de ma région. Alors, en enlevant mon casque, juste au  milieu du ciel, j'avais inspiré ma première bouffée de liberté. Je ne m'étais jamais senti autant vivre auparavant. Jamais. Depuis ce jour, je n'ai fait que de fuir. Plus rien ne m'a vraiment attaché, qu'en apparence.

Aujourd'hui, c'est comme si je retrouvais des amarres, pour la première fois. Et vraiment, j'espère, je crois, que jamais je n'aurai le besoin de couper les ponts avec quelqu'un pour sentir à nouveau l'ivresse de la vie.

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Commentaires
P
Hé bien... ça zieute mais ca laisse pas de comm... sympa, je note ;)
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P
A quoi ça sert de vivre si l'on ne peux pas sentir le vent sur son visage...<br /> <br /> ;)
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C
Eh bien te voilà de retour! Moi aussi j'ai connu la fuite, mais qui ne l'a pas connue un jour ou l'autre?<br /> Un beau jour, on arrête de fuir et on se dit que c'est à nous de courir après quelque chose, de tendre à l'infini, de regarder avec espoir vers l'horizon.<br /> Je te souhaite le meilleur, et surtout de ne plus jamais avoir à fuir quoi ou qui que ce soit.
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F
Ha ha, ce que je me demande, moi, c'est comment cela se fait-il que des personnes passent encore dans ces lieux délaissés...<br /> Merci pour vos mots qui font chaud au coeur.
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D
Voilà le dernier Modiano que je n'ai pas encore lu. <br /> C'est fou ce style qui se reconnait à la première ligne. Toujours la fuite, la ville et ce gris qui n'en demord pas.
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