Naïf
Arrivé au sommet de la rue Emile Yung, une perspective parmi celles que j'affectionne s'est ouverte sur le long et large boulevard de la Cluse, longue tige de béton figée entre de larges façades rigoureusement alignées et une généreuse rangée d'arbres, à perte de vue.
Si le regard d'un seul mouvement embrasse ce qui est immobile, une multitude de fragments échappent rapidement et inéluctablement à l'attention, les humains, animaux et véhicules traversent, sillonent, tournent et s'échappent de la scène qui s'en trouve en perpétuelle mutation.
Soudain, en quelques secondes, la chappe de nuages s'est déchirée, évaporée, libérant partout des éclats tonitruants, aspirant la grisaille, laissant respirer tous les détails qui passaient encore inaperçus et qui prennent part tout à coup à une vision nette, plate, colorée, une peinture naïve de la ville.
Se souvenir de ce moment où l'azur et le soleil ont fait irruption.
Fixer ce moment où les virages se négocient rapidement et vertigineusement, où les attentes sont dépassées par ce que l'on attendait pas.
Apprendre à rejouer dans sa tête ce millième de seconde de bonheur.
Pour les jours sans.